Remedia Morbis - VI. Anthologie de textes contre le mal de tête

Texte :

Tous les quinze jours, Nicola Zito vous invite à découvrir les remèdes médicaux les plus curieux des Anciens, entre science, magie, astrologie et superstition. Libre à vous de les expérimenter !

Anthologie de textes[1]

1. Libanios, Discours, 1, 9-10 et 243-244.

Libanios et la migraine

Je lisais les Acharniens d’Aristophane, debout près de la chaire du grammatiste[2], et le soleil était caché de nuages épais, si bien que l’on eût pu dire que ce jour ressemblait à une nuit. Zeus fit entendre un fort grondement et lança sa foudre, le feu de l’éclair frappa mes yeux, le bruit frappa ma tête. Je crus qu’il ne m’en resterait rien de grave et que ce trouble allait cesser, mais revenu à la maison et pendant le déjeuner, il me semblait entendre ce bruit et que la foudre tombait près de la maison. La frayeur me mit en sueur et d’un bond je quittai la table et me réfugiai sur mon lit. Je crus que je devais me taire et tenir tout cela secret, de peur, en me confiant aux médecins, de me voir avec chagrin arraché à ma vie quotidienne pour prendre médecine et subir un traitement. Ainsi prit racine un mal qui, paraît-il, eût été sans peine extirpé dès les premiers symptômes. Et par la suite il me suivit dans mes voyages, s’aggravant de sa propre gravité, et revint ici avec moi non sans changements ni rémissions, mais sans mettre fin à mon tourment et même quand il semble céder il ne cesse jamais tout à fait.

Ce mal ancien qui avait frappé ma tête, provoqué par la foudre, reparut après seize ans de rémission, plus pénible. Il commença aussitôt après la grande fête qui rassemble tous les sujets des Romains[3]. J’avais peur d’avoir une crise en chaire devant les élèves réunis, j’avais peur aussi quand j’étais couché, tous mes jours étaient pleins d’amertume, je remerciais la nuit qui me donnait le sommeil et à l’arrivée du jour le mal revenait. Si bien que je demandais aux dieux de m’accorder la mort pour toute faveur, et rien ne me laissait espérer que la maladie ne détruirait pas ma raison. Au moment même où j’écris, cela ne s’est pas encore produit, mais il ne m’est pas possible d’avoir confiance en l’avenir. Et ce « pas encore » même, je le dois aux dieux qui par la mantique m’ont interdit toute saignée, bien que j’en aie grande envie. Le médecin disait que dans cette éventualité, par suite du souffle vital que renforcerait l’écoulement du sang, ma tête n’y résisterait pas, et que j’y succomberais.

Libanios, Discours (I), éd. par J. Martin et P. Petit, Paris, Les Belles Lettres, 1979, p. 99 et 189.

2. Interpolation de la Physica Plinii, Cod. Sang. 751 (ixe siècle), p. 184, l. 1-3.

Une amulette contre le mal de tête

Contre le mal de tête. Tu écriras sur un papyrus des noms de bêtes sauvages, puis tu l’attacheras à ta tête : “lionne, lion, taureau, tigre, ours, panthère, léopard” ; quand tu l’auras attaché c’est dans le silence que tu prononceras les noms.

3. Théodore Priscien, Physica, 1 (p. 251-252 Rose).

Remèdes insolites contre le mal de tête

Qui cueille le polygonon alors que la lune décroit et s’en couronne est débarrassé de ses maux de tête. Semblablement aussi la plante que l’on retrouve par hasard sur la tête des statues de bronze. Et c’est un fait que si on boit ce que laisse un bœuf qui boit, la migraine sera soulagée. En effet, sa bave, frottée sur le front, apaise les sévères céphalées par une loi naturelle ignorée. Et la cervelle de corneille, prise de la manière que l’on préfère, a le même effet. Semblablement aussi, la nature qui produit toutes choses fournit à ceux qui souffrent de la tête un grand remède, si l’on mange de la cervelle de rat. Les cendres d’une férule brûlée aussi, mélangées avec de l’huile et frottées sur le front ou sur la tête apaisent souvent les céphalées. Cependant la tête est assez fréquemment délivrée si on l’enduit entièrement de cervelle de vautour mélangée avec de l’huile. Ô que la nature est admirable quand l’aimant, approché de la tête, arrache depuis la hauteur où il se trouve des maladies cachées, et qu’un nid d’hirondelles, tout juste abandonné, entièrement broyé avec du vinaigre et frotté sur le front procure un bienfait semblable !

4. Pline, Histoire naturelle, 22, 62-64.

Le capillaire : description et vertus

Autre merveille chez l’adiantum : il est vert pendant l’été et ne se fane pas pendant l’hiver ; il repousse l’eau ; arrosé ou submergé, il semble être sec, tant on observe une grande antipathie ; c’est aussi de là que vient le nom grec[4] de cet arbrisseau employé par ailleurs dans l’art topiaire[5]. Quelques-uns l’appellent callitrichon, d’autres polytrichon, deux noms dus à ses propriétés : il noircit en effet les cheveux […] il empêche aussi la chute des cheveux. Il y en a deux espèces, l’une plus blanche, l’autre foncée et plus courte. La plus grande est appelée polytrichos, et parfois trichomanès. Toutes deux ont de petits rameaux d’un noir brillant, et les feuilles de la fougère ; celles d’en-bas sont rugueuses et brunes, mais toutes sont serrées et se font face sur des pétioles opposés ; la racine est nulle. L’adiantum recherche les rochers à l’ombre, les murailles humides et surtout les grottes des fontaines et les roches suintantes, chose étrange pour une plante insensible à l’eau. Il chasse merveilleusement du corps les calculs ou les brise […] On en boit une pincée de trois doigts dans le vin. Les adiantes sont diurétiques ; ils sont un antidote contre le venin des serpents et des araignées ; cuits dans du vin, ils arrêtent le flux de ventre ; en couronne, ils calment les maux de tête.

Pline l’Ancien, Histoire Naturelle. Livre XXII, éd. par J. André, Paris, Les Belles Lettres, 1970, p. 43-44.

5. Lapidaire orphique, v. 498-509.

La “Pierre de tête”

Quant à la pierre corsite […] dans un mélange avec une tête d’ail piquante, elle aurait privé si vite de son pouvoir le scorpion, archer aux traits débilitants. Elle a pour tout l’aspect de la tempe d’un mortel. Broyée en poudre et dissoute dans du vin très mordant, elle met fin, je t’assure, aux effets du venin de l’aspic sanguinaire, pourvoyeur de la mort. Et que si on dissout dans une égale quantité d’huile de rose un fragment de la pierre après cuisson au feu, le produit offre ainsi contre les maux de nuque un souverain remède. Mais dans une mixture avec du miel suave, cette pierre élimine les poches de sanie maligne et d’humeur qui se forment dans le ventre des hommes et font pousser dans l’aîne[6], dès qu’est touché l’abdomen, des bubons déformants.

Les Lapidaires grecs, éd. par R. Halleux et J. Schamp, Paris, Les Belles Lettres, 1985, p. 109.

6. Maxime, Des Initiatives, v. 145-154.

Quand la Lune rencontre le Bélier…

Si c’est dans les étoiles du Bélier, signe du printemps, que tourne, toute brillante, Séléné, en son plein visible aux mortels, quand on est affligé par les terribles tourments d’une maladie douloureuse, qu’on ne s’attende pas à une issue malheureuse : Paiéon[7] se montre propice aux hommes, si pour eux Séléné, la déesse cornue aux illustres coursiers, s’avance bienveillante vers ce signe, sauf si ce sont de terribles douleurs aiguës qui compriment la tête d’un misérable : elles ne guérissent pas vite.

Maxime, Des Initiatives, éd. par N. Zito, Paris, Les Belles Lettres, 2016, p. 9.

7. Hermès Trismégiste, Livre sacré sur les décans, 5.

Chenlachori, le premier décan du Bélier

Celui-ci a pour nom Chenlachori et la forme ci-dessous. Il a le visage d’un petit enfant et les mains élevées en l’air ; il porte un sceptre en le tenant au-dessus de sa tête ; muni de bandelettes depuis les pieds jusqu’aux genoux. Celui-ci régit les affections produites à la tête. Grave-le donc tel qu’il est (décrit) sur la pierre babylonienne poreuse, place au-dessous une plante (appelée) ἴσοφρυς (?), renferme dans un anneau de fer et porte sur toi. Évite de manger de la tête de verrat ; car de cette façon tu gagneras la bienveillance d’un chacun en le gravant sur sa pierre et avec son nom.

Trad. C.-E. Ruelle, RPh 32 (1908), p. 253.

8. Galien, Médicaments composés suivant les lieux 2, 2, Kühn 12, p. 573, l. 6 – p. 574, l. 16.

Amulettes d’Archigène contre la céphalalgie

Puisque Archigène a rédigé des amulettes à l’intention de ceux qui ont mal à la tête, celles qui n’ont aucun rapport avec la médecine aux yeux de ceux qui jugent suivant l’expérience, je les laisse à ceux qui prétendent qu’elles agissent suivant une étonnante antipathie inconnaissable par l’homme, tandis que celles qui, parmi les amulettes décrites par Archigène, ont un rapport avec la médecine, je les ai sélectionnées et je n’exposerai qu’elles en le citant littéralement, comme je l’ai fait jusqu’à présent pour les remèdes. « En tressant deux branches de polygonon (= prêle) couronne (le malade) ». Que le polygonon convienne aux céphalalgies chaudes et dues à des flatuosités, il l’a dit lui-même auparavant. Il n’y a donc rien d’étonnant que dans de telles céphalalgies la plante soit souvent utile. De fait elles se produisent continuellement à cause de la chaleur et de l’ivresse. Que les branches doivent être absolument au nombre de deux est lancé à destination de ceux qui veulent que l’utilité vienne du polygonon en vertu d’une antipathie inconnaissable, et non en vertu de sa composition. « Ou bien place le cichorion, appelé en latin le légume intubon, sur la tête du patient, surtout s’il souffre à cause de la chaleur ». Moi j’ajouterai : et à cause de l’ivresse. Car de cette façon sont utiles aussi les couronnes de roses. Ces couronnes donc il est possible qu’elles soient prescrites par celui qui le désire en ajoutant le nombre qu’il désire et en disant que c’est la couronne tressée de tant de roses qui soigne la tête. À la suite, c’est avec le callitrichon (capillaire) qu’il estime bon de couronner la tête, que certains appellent, dit-il, trichomanès. Pour ma part, je sais que ceux qui ont écrit sur les plantes nomment le callitrichon plutôt adiante que trichomanès. Puis peu après il conseille de couronner la tête avec « la plante amie de l’homme » et avec l’enveloppe de la fleur du palmier mâle. Et après cela il écrit littéralement ainsi : « ou plaçant celui qui a mal à la tête face au soleil, laisse-le jusqu’à ce qu’il soit délivré de sa douleur. »

 


[1] Je remercie Mme Sylvie Fontaine d’avoir relu mes traductions de l’interpolation de la Physica Plinii et du passage de Théodore Priscien, ainsi que des conseils qu’elle m’a prodigués pour les améliorer.

[2] Grammatiste ou grammairien : il enseigne la grammaire et la littérature, surtout la poésie, à un niveau correspondant à peu près à celui du collège d’aujourd’hui.

[3] Les Calendes de Janvier de l’année 386.

[4] Ἀδίαντος : littéralement « non mouillé ».

[5] Se dit de l’art de tailler les arbres et les arbustes pour obtenir des formes variées, géométriques ou autres.

[6] Partie du corps humain située entre le bas-ventre et le haut de la cuisse.

[7] Divinité guérisseuse dans l’Iliade. Ici, épithète du dieu de la médecine Asclépios.

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