Une découverte en Arles antique : Julien Boislève

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Entretien avec Julien Boislève, Inrap – archéologue, toichographologue – études spécialisées (peintures et stucs d’époque romaine)

Vice-président de l’Association française pour la peinture murale antique

UMR 8546-AOROC, CNRS-ENS 

Inrap – centre archéologique

https://inrap.academia.edu/BoisleveJulienPeintureRomaineToichographologie

Quelle est votre mission dans l’équipe arlésienne ?

Intervenant en tant que toichographologue, je suis en charge du suivi des décors peints et stuqués qui apparaissent lors de la fouille. En relation étroite avec les responsables d’opération, je mets en place la stratégie à adopter pour fouiller les niveaux concernés et assure un dégagement, un prélèvement et une documentation des décors selon les protocoles en vigueur.

Quand êtes-vous arrivé ? Où en étaient les fouilles ?

Associé à la fouille dès 2013, j’ai participé aux campagnes de 2014 et 2015 à raison de quatre mois par an et suis arrivé sur la fouille de cette année en mai et pour trois mois.

En quoi consiste votre travail sur le terrain ?

Sur le terrain, j’interviens spécifiquement sur les niveaux livrant des décors peints. J’assure leur dégagement ou guide les stagiaires chargés de cette opération. Je mets en place les modes de prélèvement adéquats qui sont adaptés à chaque cas (prélèvement manuel, en connexion, à l’aide d’encollage avec choix de différents produits…). J’assure la documentation des vestiges peints, qu’ils soient fragmentaires ou en place, en observant les indices qui seront utiles à une meilleure compréhension de l’architecture et à une bonne restitution des décors. Enfin, je veille au bon conditionnement des peintures jusqu’à leur étude.

Dans le musée ?

Mon intervention au musée se limite pour l’instant à de courtes phases, l’étude véritable de l’ensemble des peintures n’étant pas engagée. Pour l’instant nous avons seulement consacré un peu de temps au lavage et au remontage de quelques plaques qui permettent de voir la qualité et le bon état de conservation des peintures. Ce premier travail permet notamment de montrer l’intérêt scientifique et patrimonial que représente l’étude globale à mettre en place dans les années à venir.

Décrivez une journée type.

Sur le terrain, la journée démarre par la préparation du matériel et son acheminement sur la zone de fouille. La fouille programmée implique à la fois un rôle d’archéologue et un rôle de formateur auprès des stagiaires, bénévoles ou étudiants. Le travail peut donc être parfois découpé au gré des besoins d’assistance des stagiaires et de la multitude des zones de découverte d’enduits. Si le travail est rarement répétitif, car les vestiges, leur état de conservation ou le mode d’effondrement sont souvent différents, le procédé général de travail est, lui, souvent le même : dégager, nettoyer, photographier, enregistrer, puis prélever.

Votre travail dans la mission d’Arles est-il particulier par rapport aux autres activités que vous avez pu avoir ? En quoi ?

La seule particularité de cette mission par rapport à d’autres fouilles, préventives, sur lesquelles j’interviens, est son caractère programmé. Ici, il faut encadrer des équipes d’étudiants et de bénévoles auprès desquels il faut avoir un rôle de pédagogue. Une autre particularité du site de la Verrerie est tout de même l’abondance des vestiges peints.

Vous exercez votre métier depuis combien de temps ?

J’ai commencé à exercer sur la peinture murale romaine en 2003.

Comment l’avez-vous découvert ?

À l’occasion d’une fouille programmée sur une villa romaine de Bretagne (Mané-Véchen). La fouille livrait des effondrements d’enduits en place. Puis l’année suivante, lors d’un stage universitaire consacré à l’étude de ces mêmes peintures.

Quelles ont été vos études ? Avez-vous fait du latin et du grec ?

J’ai suivi une formation universitaire en histoire de l’art et en archéologie, puis en archéologie jusqu’au DESS « Métiers de l’archéologie » à Rennes puis à Lyon (bac + 5). J’ai fait du latin de la 6e jusqu’au DESS.

Combien êtes-vous en France à exercer cette profession/spécialité ? Est-elle menacée ?

La spécialité n’est pas spécifiquement menacée, car elle est encore assez naissante. Elle manque encore de visibilité et de véritable reconnaissance statutaire mais promet un fort potentiel de développement dans la mesure où les évolutions générales de l’archéologie préventive permettront de conserver du temps et des moyens pour la prise en compte et l’étude de ce type de vestige archéologique. Nous sommes aujourd’hui peu nombreux à assurer le métier du diagnostic archéologique jusqu’à la publication des résultats. Les toichographologues sont moins d’une dizaine en France et, parmi eux, il faut compter des chercheurs qui vont davantage travailler sur l’iconographie (sans faire de fouille ou de remontage) et d’autres qui vont intervenir sur une analyse des matériaux. C’est un métier pluridisciplinaire.

Est-ce un métier ou une passion ?

Les deux… J’ai la chance d’avoir fait de ma passion un métier. Il paraît impossible ou du moins difficile de consacrer ses journées à une telle activité (notamment la phase de remontage – un puzzle géant !) sans être animé par une forte motivation qui découle en grande partie d’une passion et de la volonté de mener une enquête, d’aboutir à un résultat scientifique.

Quelles sont les qualités qu’il faut avoir pour l’exercer ? L’intuition est-elle importante ?

Il faut tout d’abord un grand sens de l’observation, sur le terrain autant qu’en laboratoire. Le toichographologue doit savoir observer de multiples détails qui sont autant d’indices pour faire parler son objet d’étude. Il faut ensuite une grande rigueur pour assurer une bonne documentation des vestiges, pour enregistrer les données et respecter des protocoles d’intervention. La patience est aussi une composante importante notamment lors des phases de lavage et de remontage des fragments. Il faut savoir rester des jours durant devant un immense puzzle de dizaines de milliers de pièces sans se décourager ! Enfin, il faut avoir une bonne connaissance des décors romains pour mettre en parallèle les résultats et une bonne capacité d’écriture pour rédiger rapports, articles, conférences et autres supports qui assurent la diffusion de nos résultats. L’intuition intervient pour une part, notamment lors du remontage, mais elle n’est pas prédominante.

Quelles sont les découvertes les plus intéressantes que vous ayez faites à Arles ?

En matière de peintures romaines, le site de la Verrerie est pour l’instant le seul à Arles à avoir enfin livré des décors. Mais ceux-ci sont parmi les plus intéressants que j’aie pu étudier en France parce qu’ils sont d’un style rare et précoce, que nos connaissances sur ce type de décors sont limitées et que l’état de conservation et la qualité des peintures découvertes ici sont exceptionnels. Ces peintures laissent donc envisager un fort potentiel scientifique mais aussi patrimonial avec des éléments remarquables qui seront exposés à terme au musée départemental Arles antique

Quels sont les meilleurs moments que vous ayez vécus durant cette mission ?

Probablement la première année de fouille, en 2014, avec la phase de découverte puis de nettoyage de l’enduit en place. Pour la première fois, nous voyions progressivement réapparaître sous nos yeux une peinture bimillénaire, en excellent état, sur une surface conséquente et conservant presque toute sa fraîcheur. Une émotion certaine, même pour un professionnel ayant déjà vu des centaines de décors… !

Que reste-t-il à fouiller ? Pensez-vous qu’il y aura d’autres découvertes ?

Le site est loin d’être « purgé » : nous ne connaissons qu’une infime partie de la maison du Ier siècle avant J.-C. et il reste de nombreuses autres pièces à explorer… sans parler des autres bâtiments environnants ! Vu l’état de conservation dans les premières pièces, il est certain que d’autres offriront des vestiges remarquables. Toutefois les programmes de recherches actuels n’envisagent pas le dégagement complet du site, car il faut avant tout exploiter les données et le mobilier recueilli lors de ces trois années.

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