Les amis de Guillaume Budé - Jacques Lefèvre d’Étaples a-t-il inspiré un personnage de Rabelais ?

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Cette chronique  raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque. Hommage à l’ancêtre du Gaffiot, l’imprimeur Robert Estienne est le premier invité des Amis de Guillaume Budé. Sa devise : « Noli altum sapere, sed time », c’est-à-dire « ne t’élève point par orgueil, mais crains ». 

En 1546, François Rabelais – qui a déjà publié Pantagruel (1532) et Gargantua (1534) – fait paraître le Tiers Livre. Une des questions qui traversent l’ouvrage concerne le mariage de Panurge : doit-il se marier ou non ? Pour être sûr de son choix, Panurge va consulter différentes personnes et notamment Raminagrobis, un poète, Hippothadée, un théologien, Rondibilis, un médecin, Trouillogan, un philosophe, et Triboulet, un fou. Dans les années 1930, Abel Lefranc a voulu reconnaître dans chaque personnage une personne réelle. Et il identifie Jacques Lefèvre d’Étaples sous les traits du théologien Hippothadée.

 

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Page de titre de l’édition originale du Tiers Livre. Source : Gallica - BnF.

« À notre avis, les discours si fermes de “nostre père Hippothadée”, qui parle “à la reverence de tous les assistants en modestie incroyable”, appartient, mieux qu’à tout autre contemporain, au vénérable Lefèvre d’Étaples, le philosophe et le théologien que l’auteur de Pantagruel devait admirer comme le représentant le plus éminent, à côté d’Érasme, de la pensée de son époque. » (Abel Lefranc, introduction au Tiers Livre, éditions H. Champion, 1931, p. LXXX)

Comment Abel Lefranc justifie-t-il cette hypothèse ? « Le nobles propos du moraliste du Tiers Livre dérivent principalement de son célèbre Commentaire des épîtres de saint Paul (1512) et reflètent avec une netteté singulière, de la première à la dernière ligne, les doctrines et les conseils chers au vieux maître dont l’influence fut si grande sur les commencements de notre Renaissance. […] Il apparaît […] que notre théologien a voulu s’inspirer avec une certaine continuité, dans sa consultation, de la doctrine paulinienne. N’est-ce pas la preuve sensible du dessein qu’a eu Rabelais de faire parler ici l’homme que ses amis et lui-même considéraient à la fois comme l’une des plus hautes intelligences de son temps et comme l’interprète par excellence de la pensée de l’Apôtre. […] Hippothadée est le seul théologien qui fasse bonne figure dans le roman rabelaisien. Sa modestie incroyable correspond très exactement à une qualité semblable signalée par les contemporains chez Lefèvre. » (Ibid., p. LXXX-LXXXII)

Selon Abel Lefranc, Hippothadée transmet les idées de Lefèvre d’Étaples tant en ce qui concerne son interprétation de saint Paul que sa propre doctrine sur « le salut par la foi et le rôle de la grâce divine » ou son mot d’ordre préconisant un retour aux Écritures. Ces différents éléments sont, pour Abel Lefranc, des preuves. « De telles déclarations équivalent à une signature. […] En présence de signes aussi probants, il n’est pas possible d’hésiter : Rabelais a clairement désigné son personnage. » (Ibid., p. LXXXII)

Abel Lefranc vous a-t-il convaincus, amis des Classiques ? De nouveaux arguments seront à découvrir dans la prochaine chronique. Vous verrez également comment ceux-ci sont discutables… « Pour profiter à tous, de quelque condition que soient. »

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