L’herbe est-elle plus verte ailleurs ? — Le système scolaire italien et la place des langues anciennes

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Pour mieux comprendre la place qu’occupe l’enseignement des langues anciennes en Italie, il convient d’avoir une idée générale du système scolaire transalpin. Tout d’abord, les Italiens ont globalement une année de scolarité en plus. Après cinq ans d’école primaire, on accède au collège (un collège unique, la scuola media, « école intermédiaire ») qui ne dure que trois ans, à l’issue desquels les élèves s’orientent soit vers l’enseignement général, dispensé dans des licei (les seuls établissements appelés « lycées » en Italie), soit vers des écoles techniques ou professionnelles. 

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Illustration tirée du site http://mavoieproeurope.onisep.fr/la-voie-pro-en-europe/italie/

Après l’abolition de l’enseignement obligatoire du latin au collège en 1977, c’est désormais dans les différents lycées (lycées classique, scientifique, linguistique et sciences humaines) que les langues anciennes trouvent leur place. Ici, l’enseignement du latin n’est pas une option au choix des élèves mais un enseignement obligatoire pour tous les lycéens (entre 3 et 5 heures hebdomadaires selon les cursus et les niveaux). Les élèves du lycée classique (liceo classico), qui a longtemps été la filière d’excellence de l’enseignement secondaire, suivent également un enseignement obligatoire de grec ancien (3 ou 4 heures hebdomadaires selon les niveaux). Pour avoir une idée de l’importance de ces enseignements, on peut remarquer que presque un élève du secondaire sur deux apprend le latin [1] (contre 18,3 % en France au collège et 4,7 % seulement au lycée) [2] et 6 % des élèves apprend le grec (1,5 % en France entre collège et lycée).

Comment l’enseignement du latin et du grec est-il organisé ?

L’enseignement du latin et du grec est axé tout d’abord sur la lecture et sur la traduction des auteurs classiques. Durant les deux premières années de lycée, les élèves apprennent à maîtriser, de manière progressive et systématique, l’ensemble de la morphologie et des structures morphosyntaxiques du latin et du grec. En même temps, ils commencent à lire et traduire les premiers auteurs classiques (les fables de Phèdre et les Commentarii de César en latin, Ésope et les romanciers en grec). Si les cours n’ont lieu que le matin, les « licei » exigent généralement une quantité importante de travail personnel (notamment des versions) à la maison.

Les trois dernières années de lycée sont consacrées à l’approfondissement des structures syntaxiques, à l’apprentissage des principaux mètres, à l’étude systématique et chronologique de l’histoire littéraire grecque et romaine et à la lecture d’une anthologie de textes des principaux auteurs étudiés. La dernière année, il s’y ajoute l’étude d’une œuvre intégrale au choix du professeur : une tragédie ou un dialogue de Platon en grec, une comédie de Plaute ou de Térence en latin. Dans le cadre de l’examen d’état (« maturità »), une épreuve écrite de version grecque ou latine est prévue pour les élèves du lycée classique.

Réformes et débats

La place importante réservée à l’enseignement du latin a suscité et suscite en Italie des débats récurrents. Pour en saisir les enjeux, à la fois idéologiques et pédagogiques, il nous faut rappeler que la structure générale du système scolaire italien remonte à la Réforme mise en place en 1923 par Giovanni Gentile, philosophe néo-idéaliste et ministre du gouvernement Mussolini.

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Si la matrice philosophique de cette réforme explique la centralité qu’a l’approche historiciste dans l’enseignement littéraire en Italie, l’instrumentalisation de l’Antiquité romaine par la propagande fasciste a porté à une première remise en question et à une dévalorisation de l’enseignement du latin dans l’après-guerre : le député socialiste Pietro Nenni prône alors l’abolition de cet enseignement en accusant le latin d’être une langue élitiste (« la lingua dei signori »), alors que la Démocratie Chrétienne défend ce qui reste encore la langue officielle de l’Église Catholique. Ces tensions porteront, après la création du collège unique en 1962, à l’abolition du latin au collège en 1977 [3].

Dans les dernières décennies, c’est au nom de l’idéologie néo-libérale que la place du latin est périodiquement remise en question : pour être à la hauteur des enjeux de notre temps, ne vaut-il pas mieux allouer plus de moyens à des enseignements plus « utiles », comme l’anglais ou le numérique [4] ?

Un autre débat concerne les méthodes d’enseignement et la place toujours centrale accordée à l’apprentissage grammatical et à la pratique de la traduction. Depuis plusieurs années, Luigi Miraglia s’est dressé contre les pratiques pédagogiques actuelles d’apprentissage grammatical et s’est fait le promoteur d’une pratique des langues anciennes selon la méthode dite « naturelle », c’est-à-dire par l’usage parlé. Si cette approche n’est plus taboue dans les lycées italiens, elle reste cependant très marginale à l’heure actuelle.

L’exercice de la traduction a été également remis en question. Encore très récemment, dans une tribune publiée sur le journal « La Repubblica », le philologue et anthropologue Maurizio Bettini a relancé le débat : il propose de réformer l’examen final du lycée classique en remplaçant la version par une épreuve qui laisserait davantage d’espace à la culture et à la civilisation. Si la position de M. Bettini est loin de faire l’unanimité[5], les bacheliers de cette année peuvent se réjouir au moins d’une chose : pour la première fois, la version de Tacite proposée à l’examen était précédée d’un chapeau introductif !

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Sujet de l’épreuve écrite de latin à l’examen de « maturità » du lycée classique, session 2015

Agrégé de lettres classiques, docteur de l’EHESS et membre du Centre AnHiMA (Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques – UMR 8210), Rocco Marseglia enseigne au lycée Thibaut de Champagne à Provins.


[1] Statistiques du Ministère italien de l’Éducation Nationale relatives aux inscriptions en lycées durant les deux dernières années.

[2] Chiffres du Ministère de l’Éducation Nationale

[3] Le lecteur italophone pourra trouver une synthèse du débat dans l’Encyclopédie Treccani en ligne.

[4] On peut trouver une bonne mise au point sur le débat italien, dans une perspective sociologique et comparatiste, dans l’étude de Philippe Cibois, L’enseignement du latin en France, une socio-histoire, p. 13-20. Pour ce qui en est de l’utilité des savoirs « inutiles », voir l’essai de Nuccio Ordine. Voir encore, sur ce même site, l’entretien avec l’auteur.

[5] Voir par exemple la réponse de l’écrivain Paola Mastrocola dans les pages du quotidien économique « Il Sole – 24 Ore ».