L’herbe est-elle plus verte ailleurs ? — Étudier le latin en Chine

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A.W.— Bonjour Xinxiao, peux-tu te présenter rapidement ? 

Bonjour, je m’appelle Yuwen Xinxiao, j’ai 30 ans et je fais un doctorat en histoire de l’Antiquité romaine à l’Université Normale du Nord-Est à Changchun, la plus grande ville de la province du Jilin en Chine. Ma thèse porte sur l’invasion d’Attila et les Huns dans l’empire romain ainsi que leur influence sur les provinces de la Gaule antique. Depuis septembre 2014, j’ai entamé ma deuxième année de doctorat à l’Université Paris IV (Sorbonne).

A.W.—  Pourquoi as-tu choisi détudier l’Antiquité romaine, ce qui doit être peu commun en Chine ?

Ma passion pour l’Antiquité romaine est liée au fait que mon père est Mongol, d’où ma connaissance de la culture de ce peuple nomade par excellence. Cette connaissance m’a donné l’envie de découvrir d’autres tribus nomades à travers l’histoire. C’est ainsi que j’ai découvert les Avars, les Magyars, et finalement les Huns, qui, avec leurs troupes de barbares, ont menacé l’existence de l’empire romain du IVe et Ve siècle de notre ère.

A.W.— Comment as-tu eu l’​idée de venir étudier en France et à la Sorbonne ?

C’est d’abord grâce à une bourse du CSC, China Scholarship Council, qui me rémunère (1200 euros par mois), que je peux passer une année d’études à l’étranger. Mon séjour à Paris a un intérêt scientifique évident : il me permet d’être plus proche de l’objet de mes recherches puisque ma thèse porte sur l’invasion des Huns dans les provinces de la Gaule antique, donc la France d’aujourd’hui. Par conséquent, c’est ici que j’ai accès à des sources et à des livres que je ne trouverais pas en Chine.

Qui plus est, le choix de la France a été motivé par un amour qui est double : je suis tombé amoureux de la France en 2011-2012 lorsque j'ai passé un an en tant qu’enseignant assistant de la langue chinoise dans deux lycées à Lille, le Lycée Beaupré Haubourdin et le Lycée Zola Wattrelos. De plus, c’était également en 2011 en vol vers la France que j’ai rencontré ma petite amie qui, elle aussi chinoise, était également assistante de chinois à Versailles. Tout cela m’a donné envie de revenir en France, où j’ai vécu beaucoup de belles choses et dont j’ai gardé de beaux souvenirs.

A.W.—  Quelles sont les démarches que tu as dû entreprendre pour venir ici ?

Après avoir obtenu la bourse pour continuer mes études à l’étranger j’ai contacté Giusto Traina qui est professeur d’histoire romaine, spécialisé dans l’époque impériale. Il m’a donné beaucoup de conseils utiles concernant mon séjour en France en général et à la Sorbonne en particulier, ce dont je lui suis très reconnaissant. Puis j’ai trouvé une place dans une maison chinoise en banlieue parisienne pour mon amie et moi, et me voilà !

A.W.— Depuis quand apprends-tu les langues anciennes? Où les as-tu apprises ?

J’ai commencé il y a seulement un an et demi, à l’université, en Chine. Mon niveau de langue est donc encore assez bas, surtout que les langues européennes, y compris le latin et le grec, sont très difficiles pour moi.

A.W.—  Comment lenseignement du latin et du grec est-il pratiqué en Chine  ?

Il faut savoir qu’à la différence de l’Europe, en Chine, les langues anciennes européennes ne sont pas enseignées à l’école, tandis que l’anglais et le japonais occupent un rôle majeur dans l’enseignement public. Même après l’école, seules certaines universités permettent d’apprendre le latin et le grec, dont celle de Pékin, celle de Nankai à Tianjin et celle de Fudan à Shanghai. Là, en règle générale, seuls les étudiants en Master peuvent étudier le latin et le grec. Parfois pourtant il y a des cours pour les élèves de licence. Toutefois, il ne faut généralement pas s’imaginer un cours comparable à ce qu’on connaît en Europe. Étant donné qu’en Chine  la première connaissance de l’existence des langues anciennes d’Europe ne date que du début du XXe siècle, et puisque la morphologie et la grammaire du latin et du grec sont extrêmement éloignées de celles de la langue chinoise — par exemple, en chinois, les conjugaisons et déclinaisons n’existent quasiment pas —, il n’est guère étonnant que le niveau à l’université soit assez rudimentaire, même en master. En effet, on est assez loin de cette perfection que l’on trouve ici à la Sorbonne ! Les trois à quatre heures hebdomadaires de cours de langues sont entièrement consacrées à l’apprentissage des traits élémentaires de la langue grecque ou latine, c’est-à-dire que l’on apprend successivement les différentes déclinaisons et conjugaisons ainsi que les bases de la syntaxe. Dans mon cas par exemple, dans les cours que j’ai suivis et dans mes études personnelles, je me suis servi de deux vieux manuels qui s’appellent Wheelocks Latin, 6th revised edition et A First Greek Course by Sir William Smith de l’année 1909. Le but unique est la faculté de lire des petites phrases et des courts fragments, il n’est pas question de traduire ou de faire du thème. Pour les passages plus longs, les textes sont fournis avec une traduction anglaise, française ou allemande. Outre les cours de langue, dans mon université, les dix à vingt étudiants qui commencent le latin et le grec chaque semestre peuvent suivre, pendant huit à dix heures par semaine, des séminaires d’histoire antique (égyptienne, grecque, romaine, indienne). Tous les cours se terminent par la rédaction d’un petit mémoire d’environ 4000 caractères chinois, soit 2000 mots. Ce nombre va croissant selon le niveau d’études : ainsi la thèse de master comporte 30.000-60.000 caractères, et la thèse de doctorat 100.000 environ. 

A.W.— Selon toi, quelles sont les différences les plus remarquables entre les deux systèmes  ?

À mon avis, la différence la plus frappante entre les systèmes se révèle en regardant les niveaux : par rapport aux universités françaises, les universités chinoises n’atteignent pas la même qualité d’enseignement en ce qui concerne les langues anciennes. Ceci est dû à deux facteurs : d’abord les langues européennes, et notamment le grec et le latin, sont très éloignées du chinois. Nombreux sont les concepts et les notions linguistiques qui n’existent pas en tant que tels en chinois. En tant que Mongol ce problème est encore plus grave pour moi : par exemple j’ai toujours beaucoup mal à comprendre la distinction entre des termes comme empire, tribu, royaume ou pays ; car en mongol il n’existe qu’un seul mot, oulous, pour désigner un mélange propre à la nature nomade des Mongols. Cela fait que l’on ne peut pas traduire avec précision les termes européens dans toute leur complexité.

Le résultat, qui est également la deuxième grande différence entre les systèmes, consiste dans le fait que dans leurs cours, les quelques professeurs qui se sont spécialisés dans les langues anciennes et l’histoire antique européenne doivent toujours travailler avec des traductions anglaises, allemandes ou françaises, et ne se réfèrent guère au texte original pour éviter que les étudiants décrochent. Voilà aussi pourquoi, à défaut de bonnes connaissances du grec et du latin, je dois souvent m’appuyer sur des traductions du Bellum Gallicum et du Bellum Civile de César ainsi que sur l’œuvre d’Ammie Marcellin et de Priscus pour mes recherches sur Attila et les Huns.

A.W.— Ton séjour en France aide-t-il à combler ces lacunes ?

Énormément ! À la Sorbonne j’ai suivi des cours d’histoire des idées avec le professeur Paul Demont ainsi que des cours d’histoire romaine et byzantine avec Giusto Traina et des cours de grec byzantin avec Monsieur Flusin. Bien que ces cours soient assez compliqués pour moi pour des raisons de langue, j’en ai beaucoup profité ! Les professeurs et les camarades que j’ai eu la chance de rencontrer étaient tous très gentils avec moi et toujours prêts à m’aider et à me conseiller des livres que je pouvais lire en préparation des cours ou pour mes propres recherches. Je leur suis vraiment reconnaissant ! Je suis également très content des bibliothèques que j’ai pu découvrir à Paris, notamment la Bibliothèque Interuniversitaire de la Sorbonne, la Bibliothèque de l’Institut byzantin et la Bibliothèque Gernet-Glotz m’ont beaucoup impressionné par la multitude de livres qu’elles contiennent et le trésor de savoir que ces derniers fournissent.

A.W.—  Quel sont tes objectifs et tes projets pour lavenir ?

Avant de rentrer en Chine en septembre, il faut encore que je rende deux petits rapports sur mon séjour en France à l’institution qui m’a donné la bourse pour venir ici. À long terme, j’aimerais continuer mes études sur l’empire romain et ses rapports avec les peuples nomades. Après ma thèse, je voudrais me pencher davantage sur les Mongols, sur lesquels j’ai trouvé quelques livres à la bibliothèque de l’Institut de sinologie. Peut-être même irais-je travailler en Mongolie pour être plus proche de la source de mes recherches.

A.W.—  Pour finir : as-tu une citation grecque/latine préférée ? Que te dit-elle ?

Oui : ab ovo ad mala, dans les Satires d’Horace. Elle me motive, d’une manière humoristique, à aller jusqu’au bout de mes recherches !

A.W.—  Merci, Xinxiao, pour cet entretien et mes meilleurs vœux  de réussite pour tes projets et ton avenir professionnel. Bon retour en Chine. Au revoir.

Interview et retranscription par Andreas Wüst.