Fantômes, sorcières, morts vivants et loups-garous – fêtez Halloween avec les Anciens !

31 octobre 2015
Texte :

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Lucain, La Guerre civile, VI, 508-549, texte établi et traduit par A. Bourgery et M. Ponchont, CUF

C'est un sacrilège pour elle de courber sa tête macabre sous le toît d'une ville ou des lares, elle habite les tombeaux abandonnés et occupe les tertres dont elle a expulsé les ombres par la faveur des dieux de l'Érèbe. Entendre les assemblées au séjour du Silence, connaître les demeures stygiennes et les mystères du Dis souterrain, ni les maîtres du ciel ni la vie ne le lui interdisant. Une maigreur affreuse envahit le visage flétri de la sacrilège, et sa face terrible, inconnue du ciel serein, est empreinte d'une pâleur stygienne et alourdie de cheveux en désordre ; si un nimbus et des nuages sombres masquent les astres, alors la Thessalienne sort des tombeaux nus et cherche à capter les foudres nocturnes. Ses pas brûlent les semences d'une moisson féconde et son haleine infecte des brises qui n'étaient pas mortelles. Elle ne prie pas les habitants du ciel, elle n'amène pas de son chant suppliant la divinité à son secours ; elle ignore les fibres propiatoires ; elle aime à mettre sur les autels les flammes funèbres et des encas ravis aux sépulcres incendiés. Les dieux célestes lui concèdent tous les forfaits dès les premiers mots de sa prière et ils craignent d'ouïr unsecond charme. Elle a enfoui dans la tombe des âmes vivantes et qui dirigeaient encore leurs membres ; et quand le destin leur doit encore des années, la mort est constrainte de les saisir. Erichto a ramené de leurs tertres des défunts par un convoi inverse et des cadavres ont fui de leur couche. Elle enlève du milieu des bûchers les restes fumants des jeunes gens et leurs ossements brûlants, la torche même que tenaient les parents et les morceaux du lit sépulcral d'où volait une noire fumée ; elle recueille les vêtements qui tombent en poussière et les cendres qui conservent l'odeur des membres. Mais quand les corps sont gardés sous des pierres où s'absorbe le liquide intérieur, et durcissent, vides d'une moelle corrompue, alors elle s'acharne avidement sur tous les membres, plonge les mains dans les yeux, se plaît à crever des globes glacés et ronge les pâles excroissances de la main desséchée. Elle brise de ses dents les lacs et les noeuds mortels, dépèce les pendus et racle les croix, arrache les viscères battus par les pluies et les moelles cuites par les rayons solaires. Elle enlève l'acier enfoncé dans les mains, le pus noir dégouttant des membres et l'humeur amassée, et quand le nerf retient ses dents, elle y reste pendue.

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Philostrate, Vie d'Apollonios de Tyane, IV, 16, traduction de C. Schneider, in Paranormale Antiquité : la mort et ses démons en Grèce et à Rome (coll. Signets, 2011)

"Je n'ai pas, dit Apollonios, creusé de fosse, comme Ulysse, je n'ai pas évoqué les âmes avec le sang des agneaux pour engager la conversation avec Achille ; j'ai seulement fait la prière que les Indiens disent faire pour leurs héros : 'Ô Achille ! ai-je dit, la plupart des gens te croient mort, mais je ne suis pas d'accord avec eux, pas plus que Pythagore, dont je tiens mon savoir. Si donc nous avons raison, montre-toi à nous sous la forme que tu as, car tu pourrais tirer grand profit de mes yeux si tu en usais pour témoigner de ton existence.'

Sur quoi, il se produisit une brève secousse autour du tumulus, et il en sortit un jeune homme haut de cinq coudées, habillé d'un manteau à la thessalienne ; il n'avait rien de cet air fanfaron que d'aucuns prêtent à Achille. Il est vraiment terrible à voir, mais n'a rien perdu de son éclat, et l'on n'a pas encore vanté, selon moi, sa beauté comme elle le mérite, bien qu'Homère en ait beaucoup parlé : c'est qu'elle dépasse les mots et que celui qui entreprend de la chanter risque plutôt de lui faire du tort que de la glorifier dignement. Il apparut avec la taille que je viens de dire, puis il grandit et bientôt doubla, et même plus encore : du moins, il me parut haut de douze coudées lorsqu'il eut atteint sa taille définitive, et sa beauté croissait avec sa grandeur. Il me dit qu'il n'avait jamais coupé sa chevelure : il l'avait conservée entière pour le fleuve Sperchius, le premier oracle qu'il eût consulté, et ses joues portaient encore leur premier duvet."

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Héliodore, Les Éthiopiques, VI, 14, 1-5, texte établi par R.M. Rattenbury et T.W. Lumb, traduit par J. Maillon, CUF

À peine sortis du champ de cadavres, ils trouvent un petit tertre. Là Calasiris se coucha, la tête sur le carquois. Chariclée resta assise sur sa besace. La lune, qui venait de se lever, illuminait la terre d'une vive clarté. C'était le troisième jour après la pleine lune. Calasiris, épuisé par l'âge et la fatigue du voyage, s'endormit. Chariclée, que tenaient éveillée ses soucis, fut témoin d'une scène diabolique, familière aux Égyptiennes. La vieille mère, pensant que nul ne la dérangerait ni ne la verrait, commença par creuser un trou dans la terre. À droite et à gauche, elle alluma deux foyers, entre lesquels elle déposa le corps de son fils. Puis elle prit successivement sur un trépied placé à côté trois coupes d'argile, qu'elle vida dans le trou : l'une était remplie de miel, la deuxième de lait, la troisième de vin. Elle prit ensuite un gâteau de farine qui figurait un homme, le couronna de laurier et de fenouil et le jeta dans le trou. Enfin, elle ramassa une épée, et, agitée de mouvements frénétiques, adressa à la lune des invocations dans une langue barbare et étrange. Elle se fit une incision au bras, recueillit le sang avec une branche de laurier et en aspergea le foyer. Après d'autres pratiques non moins étonnantes, elle se pencha sur le cadavre de son fils, lui murmura à l'oreille je ne sais quelles incantations, et cette sorcière parvint à le réveiller et à le faire se dresser sur ses pieds. Chariclée, qui jusque-là avait assisté au spectacle non sans frayeur, ne put sans un frisson d'horreur contempler un tel prodige.

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Homère, Odyssée, X, 210-244, texte établi et traduit par V. Bérard, CUF

Ils trouvent dans un val, en un lieu découvert, la maison de Circé aux murs de pierres lisses et, tout autour, changés en lions et en loups de montagne, les hommes, qu'en leur donnant sa drogue, avait ensorcelés la perfide déesse. À la vue de mes gens, loin de les assaillir, ces animaux se lèvent et, de leurs longues queues en orbes, les caressent... Tel le maître, en rentrant du festin, voit venir ses chiens qui le caressent, sachant qu'il a toujours pour eux quelque douceur. C'est ainsi que lions et loups aux fortes griffes fêtaient mes compagnons, qui tremblaient à la vue de ces monstres terribles.

Mais les voici debout, sous le porche de la déesse aux belles boucles. Ils entendent Circé chanter à belle voix et tisser au métier une toile divine, un de ces éclatants et grands et fins ouvrages, dont la grâce trahit la main d'une déesse. 

Le meneur des guerriers, Politès, le premier, prend la parole et dit – c'était, de tous mes gens, celui que son bon sens me faisait préférer – :

"Mes amis, écoutez ce chant d'une voix fraîche ! on tisse là-dedans, devant un grand métier : tout le sol retentit : femme ou déesse ?... allons ! crions sans plus tarder !"

Il dit : tous, de crier aussitôt leur appel.

Elle accourt, elle sort, ouvre sa porte reluisante et les invite ; et voilà tous mes fous ensemble qui la suivent !... Flairant le piège, seul, Euryloque est resté... Elle les fait entrer, elle les fait asseoir aux sièges et fauteuils ; puis, leur ayant battu dans son vin de Pramnos du fromage, de la farine et du miel vert, elle ajoute au mélange une drogue funeste, pour leur ôter tout souvenir de la patrie. Elle apporte la coupe : ils boivent d'un seul trait. De sa baguette, alors, la déesse les frappe et va les enfermer sous les tcts de ses porcs. Ils en avaient la tête et la voix et les soies ; ils en avaient l'allure ; mais, en eux, persistait leur esprit d'autrefois. Les voilà enfermés. Ils pleuraient et Circé leur jetait à manger faînes, glands et cornouilles, la pâture ordinaire aux cochons qui se vautrent.

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Pétrone, Satiricon, 62, texte établi, traduit et commenté par Olivier Sers, coll. Classiques en poche

"Justement, le maître était parti à Capoue pour brader un lot de fripes de premier choix. Je saute sur l'occasion et persuade un hôte à nous de faire les cinq milles avec moi. C'était un soldat, et costaud comme Orcus. Nous décarrons vers le chant du coq, la lune éclairait comme à midi. Au moment où on passe entre les tombeaux voilà mon gars qui s'en va faire ses besoins du côté des stèles. Et puis je me retourne vers le type et je le vois qui ôte tous ses habits et qui les dépose au bord de la route. J'étais raide comme un cadavre, l'air ne passait plus dans mes narines. Alors il pisse autour de ses habits et d'un seul coup se transforme en loup. Ne croyez pas que je blague. Pour me faire inventer ça, personne ne pourrait me payer assez cher. Je continue. Une fois changé en loup, il se met à hurler et s'enfuit dans les bois. Moi, sur le coup, je ne savais plus où j'étais. Après je me suis approché pour ramasser ses habits mais ils s'étaient changés en pierres. Impossible d'être plus mort de trouille que moi. J'ai quand même dégainé mon épée, et j'ai massacré les ombres les plus épaisses que je trouvais jusqu'à ce que je sois arrivé dans la ferme de mon amie. J'y suis entré comme un spectre, j'ai bien failli crever, la sueur me dégoulinant dans la raie des fesses, les yeux morts, c'est un miracle que je m'en sois remis. Ma Mélissa s'étonne que j'aie voyagé si tard et me dit : 'Si tu étais arrivé avant, au moins tu nous aurias aidés. Un loup est entré dans la ferme. Tout le troupeau, il les a saignés, un vrai boucher. Quand même qu'il a pu s'enfuir il ne doit pas guère s'en vanter parce qu'un esclave à nous lui a percé le cou avec sa lance.' Quand j'ai eu entendu ça, je n'ai pas pu fermer l'oeil, et dès que le jour a été haut je me suis carapaté chez notre maître Gaïus, aussi vite que le bistrotier à qui on avait fauché ses fringues. Arrivé à l'endroit où les vêtements s'étaient changés en pierres je n'y ai rien trouvé que du sang, et arrivé à la maison mon soldat était allongé dans un lit, assommé comme un boeuf, et un docteur lui soignait le cou. J'ai compris qu'il était loup-garou et après ça je n'ai jamais pu manger le pain avec lui, même si on m'aurait tué. Les autres verront bien ce qu'ils pensent de ça, moi, si je mens, que la colère de vos Génies m'étouffe !"

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