Anthologie - La deuxième lettre d'Hélène à Polyxo

5 novembre 2019
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Voici la deuxième lettre d'Hélène à son amie Polyxo, extraite de notre exclusivité Hélène de Troie : Lettres d'exil.

Très chère Polyxo, que s’est-il passé depuis le départ du navire argien ? Pourquoi n’ai-je pas le droit de te parler ? Voici trois jours que je me présente au seuil de tes appartements et que ta sévère intendante me dissuade de te rendre visite. Ce matin, j’ai bravé cette insolente et j’ai poursuivi mon chemin. Peine perdue ! Deux de tes femmes guerrières ont croisé leurs lances devant ta porte pour m’empêcher d’entrer.

Que signifie tout cela ? En outre, tu n’as pas répondu à ma lettre. Es-tu souffrante ? Vraiment, je le crains. Mais, précisément, si c’est le cas, pourquoi refuser mon secours ? As-tu oublié quelle a été notre intimité durant notre enfance et notre prime jeunesse ? Parce que tu étais d’honorable lignée, c’est toi que ma mère avait choisie pour être ma suivante la plus proche. Nous avons grandi ensemble et reçu la même éducation. Tu as été ma compagne de jeux, ma confidente. Ensemble nous avons suivi les leçons de mes maîtres, qui nous ont appris à lire, à écrire, à compter et, plus tard, nous ont aussi enseigné la danse, la poésie et le chant. Nous avons participé aux mêmes entraînements sportifs qui font des Lacédémoniennes les femmes les plus robustes et les plus saines de l’Argos. Tu excellais dans le lancer du disque et à la course à pied, j’étais plus habile dans le maniement du javelot. Souviens-toi ! Nous étions inséparables, de nuit comme de jour. Nous prenions nos bains, toutes les deux nues dans la grande vasque, dont mes servantes parfumaient l’eau avec des fleurs de jasmin. Nous nagions de concert dans le fleuve Eurotas. Et si longtemps que, à la fin, épuisées, nous nous reposions, étendues dans l’herbe de la berge, bien enlacées pour nous réchauffer. Combien de fois avons-nous comparé nos jolis seins qui prenaient forme sur nos poitrines d’adolescentes ! Les tiens étaient pointus, les miens plus ronds. Je t’enviais. J’admirais ton abondante chevelure noire et ta peau mate. J’étais blonde et ma peau si claire supportait mal les rayons du soleil dont j’aimais pourtant la caresse. Oui, je t’enviais ! Et pourtant, lorsque nous sommes devenues nubiles, c’est sur moi que tous les regards se sont posés. On m’a proclamée la plus belle de toutes les filles de l’Hellade. Je ne pouvais, disait-on, qu’avoir été engendrée par un dieu. Zeus, le plus grand de tous, avait eu commerce avec Léda, ma mère. C’était sous l’apparence d’un cygne qu’il l’avait approchée. Tyndare n’était que mon père officiel. J’étais suprêmement belle et forcément divine. Mes malheurs allaient commencer.

Mais, voyons, pardonne-moi de m’égarer dans ces considérations sur ma personne ! C’est bien de toi que je dois me soucier à ce jour. Si tu es malade, sache que je peux te guérir. J’ai été initiée à cet art dans des circonstances bien particulières. Ce fut après la destruction de Troie, alors que Ménélas m’avait reprise pour me ramener à Sparte. Notre navire a été dérouté par un dieu qu’il avait négligé d’honorer avant notre départ et nous avons abordé sur les côtes égyptiennes. A Memphis, la magicienne Polydamma, femme de Thôs, m’a révélé le secret des plantes et leurs vertus curatives. C’est un savoir qu’il faut maîtriser, car leurs extraits peuvent donner aussi bien la guérison d’un mal que la mort subite. Quelques gouttes suffisent pour concilier le sommeil ou même provoquer l’oubli complet de son passé. Mais rassure-toi ! Quel que soit le mal dont tu souffres, je trouverai le remède afin que la vie te soit plus douce. Toutefois, pour que je puisse te venir en aide, il faut que je te voie, que je t’examine ou bien que tu me dises ce qui te tourmente, si c’est ton âme qui est affligée. Donc, je t’en prie, chère Polyxo, reçois ta fidèle amie, qui ne songe qu’à ton bien-être et ne désire que ton affection !